Colas en Amérique du Nord
Une chance pour l'industrie des produits bitumineux dans le groupe
Depuis les années 1960, le groupe Colas a développé ses activités au Canada et aux États-Unis par le biais de diverses acquisitions. La forte dominante des industries de production de produits bitumineux sur le continent stimule les synergies entre les services techniques, ce qui favorise les transferts de technologie et améliore la compétence globale du groupe dans le domaine des liants bitumineux et des produits enrobés.
Le groupe Colas est présent au Canada depuis 1963, avec l’acquisition au Québec de Fabi Ltd., qui donnera naissance à la société Sintra Inc. dans les années 1970, et aux États-Unis depuis 1979, avec barrett Paving Materials. Au fil des années, le groupe n’a cessé de se développer sur le continent nord-américain. Les dernières acquisitions marquantes sont celles de Miller Paving Ltd. et de McAsphalt Industries Ltd. en 2018 et tout dernièrement de Granite Contracting aux États-Unis.
Aujourd’hui, l’activité du groupe en Amérique du Nord représente environ 25 % du chiffre d’affaires de Colas. La forte dominante des industries de production de produits bitumineux sur le continent stimule les synergies entre les services techniques.
Ce terrain favorable a permis des transferts de technologie et une progression de la compétence globale du groupe dans le domaine des liants bitumineux et des produits enrobés.
CONTEXTE NORD-AMÉRICAIN
Bien que le développement du groupe Colas aux États-Unis et au Canada concerne tous les cœurs de métier du groupe, il est très marqué par le nombre de ses centres de production d’enrobés bitumineux et plus encore par son activité de commerce et de modification de liants bitumineux.
La production annuelle d’enrobés est de plus de 11 millions de tonnes aux États-Unis et de 7 millions de tonnes au Canada. Le volume de bitume acheté par Colas en Amérique du Nord est de l’ordre de 1,7 millions de tonnes ; il transite dans une quarantaine de terminaux et est transformé en partie en bitume modifié ou en émulsion (photo 1).
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Malgré les aléas économiques, les marchés restent soutenus sur le continent, où Colas ne produit pas que pour ses propres besoins, mais fournit aussi de nombreux clients tiers avec une importante variété de produits selon les techniques et les climats. La diversité des techniques est également fortement influencée par les choix des États ou des provinces, qui disposent d’une forte autonomie en la matière : aux États-Unis, chaque Department of Transportation (DoT) dispose de ses propres cahiers des charges. En effet, de Fairbanks (Alaska) à Savannah (Géorgie), les différences, de conditions climatiques notamment, justifient quelques variétés dans les spécifications calées, le plus souvent empiriquement, sur chaque situation particulière.
Il en est de même au Canada, avec peut-être une singularité supplémentaire au Québec, où le rapprochement technico-culturel avec la France joue une certaine influence.
Programmes de recherche et méthodes de formulation
Le programme SHRP (Strategic Highway Research Program) aux États-Unis et C-SHRP au Canada, lancé en 1987 avec une enveloppe de 150 millions de dollars, a débouché sur de profonds changements dans la doctrine des produits bitumineux aux États-Unis. Adoptée de façon progressive et inégale selon les États et les provinces, cette doctrine s’est ensuite étendue à d’autres nations. Ce nouveau système d’étude et de spécification des produits bitumineux nommé SuperPave permet d’adapter les produits aux conditions climatiques variées du continent. Le concept qui s’est le plus rapidement et largement répandu est celui de la spécification des bitumes par grades de performance (performance-grade ou PG), ce qui n’a pas été sans incidence sur l’industrie puisque bon nombre des PG demandés ne sont pas disponibles sous forme de bitume pur mais font appel à une modification plus ou moins importante, d’où le fort développement des bitumes modifiés.
L’évolution des méthodes de formulation des mélanges bitumineux a été plus lente et limitée car, même si l’usage de la dame Marshall a souvent été abandonné au profit de celui de la presse à cisaillement giratoire (PCG) préconisée par Super-Pave pour le compactage, le reste de la méthode volumétrique reste identique1.
La nouvelle méthode Balanced Mix Design (BMD), qui cherche à assurer au produit une résistance à la fissuration à température basse et intermédiaire tout en ménageant une résistance à l’orniérage par temps chaud, bénéficie d’un développement beaucoup plus limité. Cette méthode est en cours de développement depuis quelques années à la suite de déconvenues récurrentes dans plusieurs États, en particulier de fissurations prématurées et conséquentes ou encore des situations d’orniérage marqué2.
Des essais de fissuration ont été développés, comme le DCT (Disc Shaped Compact Tension), utilisé dans le Minnesota, ou le SCB I-FIT (Semi-Circular Bending test Illinois Flexibility Index Test), dans l’Illinois3. Pour mesurer la résistance à l’orniérage à température élevée, le Hamburg Test, qui évalue également la tenue à l’eau du mélange, est largement employé. Cependant l’Asphalt Pavement Analyser Rut Test reste d’usage, notamment dans le New Jersey et en Virginie. L’évaluation de la tenue à l’orniérage concerne les zones à forte température ou à très fort trafic.
Aujourd’hui, la méthode BMD n’est implémentée de manière systématique qu’au Texas et au New Jersey, avec quelques différences. Elle est en voie de déploiement avancé dans l’Illinois, le Minnesota et la Louisiane4.
Dans cette même logique, un certain nombre de techniciens se tournent vers l’Europe et en particulier vers la méthodologie française pour tenter de résoudre ces problématiques. Cela donne l’occasion au groupe Colas de s’exprimer sur des études de fond ou des chantiers difficiles en s’appuyant sur les équipes du Campus scientifique et technique (CST).
Cette problématique touche tout autant le Canada, qui a adopté, de façon inégale d’une province à l’autre, mais en bonne partie, les pratiques du Super-Pave des États-Unis. En effet, aujourd’hui, sauf à de très rares exceptions, les caractéristiques des mélanges d’enrobés ne sont pas prises en compte dans le dimensionnement structurel des chaussées, lequel ne fait pas appel à une méthode rationnelle, mais est fondé sur un modèle empirique. Il n’existe pas non plus de différentiation de niveau d’étude des mélanges selon la position de l’enrobé dans la chaussée, comme c’est le cas en France ou en Europe.
Ces évolutions sont en cours de réflexion, mais différentes visions s’opposent : les DoTs privilégient les méthodes de formulation et de dimensionnement empiriques, plus facilement applicables, alors que la Federal Highway Administration (FHWA) pousse les Performance Related Spécifications, ou « tout performanciel », qui se rapprochent du niveau d’étude 4 français généralisé5.
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Recyclage et enrobés tièdes
Une autre caractéristique des marchés nord-américains a été l’adoption rapide des techniques de recyclage et d’abaissement de la température6. Leur emploi massif reste pragmatique et se limite généralement à des taux de recyclage moyens et à un abaissement de température limité, ce qui permet d’en généraliser l’usage sans risque et à un coût modéré. Les problématiques de fissurations mentionnées plus haut ont souvent été associées au recyclage (agrégats d’enrobés, mais aussi bardeaux bitumineux à base de bitume fortement oxydé) ou à la qualité du liant d’apport (où les fractions légères du bitume ont souvent été remplacées par des huiles usagées recyclées) sans toutefois remettre directement en cause la formulation des enrobés, qui pourtant menait à des formules souvent raides et poreuses.
Ainsi, au cours des dernières années, d’importants travaux de recherche académiques ont été consacrés au vieillissement des liants dans le temps. Des travaux complémentaires sont par ailleurs en cours sur la formulation des mélanges destinés à limiter les effets des pratiques traditionnelles qui favorisent les désordres observés. Là encore, les techniciens du CST peuvent mettre en avant quelques expériences et bonnes pratiques. Cependant, le changement est rarement aisé du fait de la faible acceptation des écarts à la tradition ou au dogme local chez certains donneurs d’ordre.
RÉSEAU TECHNIQUE COLAS
Compte tenu de la forte culture de contrôle qualité outre-Atlantique et de ses nombreuses implantations, Colas dispose d’un effectif d’ingénieurs et de techniciens de laboratoire de l’ordre de 180 aux États-Unis et de 350 au Canada. Ces territoires comptent un laboratoire central d’assistance à la formulation et de développement technique à Cincinnati (Ohio) pour les États-Unis et trois laboratoires renforcés pour la formulation des produits bitumineux au Canada à Edmonton (Alberta), Toronto (Ontario) et au Québec.
Ces laboratoires disposent de tout le matériel nécessaire à la formulation, à l’étude et à l’analyse des bitumes, bitumes modifiés, mélanges bitumineux et émulsions. Ils travaillent en relation étroite avec le CST pour les développements de nouveaux produits ou pour des expertises spécifiques. Le travail sur les bitumes modifiés étant permanent du fait de la variabilité des approvisionnements et de l’évolution de la qualité des bitumes de base, tous ces laboratoires travaillent en réseau sur ce sujet majeur. L’expertise nord-américaine est un précieux recours pour l’Europe, qui subit une profonde mutation du monde du raffinage et donc de l’approvisionnement en bitume.
En outre, le réseau technique Colas est ouvert aux partenariats institutionnels et aux collaborations avec des partenaires privés, en France (Idrrim, Cerema, université Gustave Eiffel...) comme en Amérique du Nord (NCAT – National Center for Asphalt Technology, NAPA – National Asphalt Pavement Association, ATC – Association des transports du Canada, CTAA – Association canadienne des techniques du bitume...).
Les organismes de recherche américains ayant des programmes financés sur des fonds publics, leurs résultats sont largement partagés. Les acteurs privés comme Colas peuvent donc s’en saisir pour contribuer à leur diffusion et leur évaluation.
TRANSFERT DE TECHNOLOGIES FRANÇAISES OUTRE-ATLANTIQUE
Colas a mis en œuvre sa tradition d’innovation et de développement sur le continent nord-américain en enregistrant de beaux succès, comme avec la transposition de l’Euroduit en Novachip, qui assure une couche d’entretien à forte adhérence et prix limité sur des chaussées en bon état structurel. Une autre technique en provenance du Vieux Continent est le Fibermat (photo 3), nom américain du Colfibre, enduit à l’émulsion armé de fibres de verre coupées, qui améliore la résistance des revêtements à la remontée des fissures. Compte tenu de la problématique récurrente de la fissuration et de l’efficacité du procédé, Fibermat connaît un fort développement, avec environ 4 millions de mètres carrés posés chaque année. Il est employé aussi bien en revêtement superficiel qu’en membrane sous enrobé à chaud ou encore en revêtement superficiel combiné (Cape Seal). Cette technique s’étend vers le Mexique, où des réalisations encore plus importantes sont opérées par des sociétés partenaires.
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De même, les bétons bitumineux à liant fortement modifiés (Bétoflex) répondent aux besoins de résistance mécanique et de durabilité de certains chantiers que les mélanges traditionnels sont impuissant à Résoudre7-8. Ainsi, ils ont donné satisfaction sur des aéroports ou des voies à très fort trafic au Canada. Pour agrémenter les chaussées, les revêtements clairs ou colorés s’invitent régulièrement sur des sites historiques ou récréatifs où la couleur noire du bitume n’est pas satisfaisante. Ainsi, le revêtement Héliocol, développé pour les jardins de Versailles puis adopté à Chambord, est devenu le Colonial Seal sur des sites historiques en Virginie après avoir franchi l’Atlantique (photo 4).
On peut également citer le développement des couches d’accrochage propres, du procédé Emulcol ou des émulsions fortement modifiées Néocol pour sécuriser les enduits superficiels, ou encore des enrobés percolés Rodal sur sites industriels. Ces transferts de technologies ne nécessitent pas seulement des études de laboratoire. Ils requièrent aussi des adaptations ou des investissements en matériel de chantier et l’assistance d’experts missionnés pour superviser les premiers chantiers d’essais.
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APPROPRIATION DES PRATIQUES AMÉRICAINES EN EUROPE
Réciproquement, les équipes techniques du CST ou de laboratoires Colas d’autres régions du monde n’hésitent pas à faire appel au savoir-faire de leurs collègues de Colas Solutions (laboratoire central de recherche à Cincinnati) dans le domaine de la formulation des liants PG ou de l’étude rhéologique à basse température des bitumes, dans laquelle ils sont passés maîtres (photo 5).
Par exemple, l’application de ces techniques à l’évaluation des additifs proposés pour le recyclage des enrobés a tout intérêt à être menée conjointement. En effet, la plupart des fournisseurs proposent les mêmes références de part et d’autre de l’Atlantique et au-delà. Les efforts des collègues américains sur l’étude de la rhéologie des liants et de leur vieillissement, combinés aux analyses chimiques menées au CST, ont conduit à l'évaluation de plus de quinze références. Ce travail, complété au CST d’une étude poussée sur les enrobés recyclés et vieillis, a permis au groupe de se forger une doctrine solide sur l’intérêt, ou le plus souvent l’absence d’intérêt, de ces additifs proposés pour le recyclage.
Plus simplement, la caractérisation rhéologique des liants théorisés dans SuperPave et les derniers développements proposés par les chercheurs américains pour leur caractérisation à froid, l’élasticité cyclique et le vieillissement à terme sont largement repris par les équipes de Colas au niveau européen, autant à des fins de formulation que d’évaluation ou d’expertise. Ces collaborations se concrétisent en certaines occasions par des échanges de personnel scientifique d’ouest en est ou d’est en ouest, soit de façon durable, soit sous la forme de stages immersifs de jeunes diplômés. Les échanges continuels et soutenus et la présence d’expatriés contribuent fortement à resserrer les mailles du réseau technique de l’entreprise.
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BÉNÉFICE DES ÉCHANGES SCIENTIFIQUES
La mondialisation des technologies de l’ingénierie des infrastructures devient chaque jour une réalité plus forte, qu’il s’agisse des technologies de pointe sur :
- la fonctionnalisation de la route ;
- des problématiques sociétales comme les îlots de chaleur urbains et l’imperméabilisation des sols ;
- les technologies d’auscultation des réseaux ;
- la connaissance des matériaux de construction.
Dans le même temps, on assiste à la mondialisation de certains marchés, dont celui des produits bitumineux qui, jusqu’à présent, était encore assez souvent domestique. La diminution de la consommation des hydrocarbures dans certaines régions du monde et leur progression dans d’autres génèrent des déséquilibres qui se traduisent par des échanges plus importants.
L’impact de la nouvelle réglementation de l’International Marine Organization entrant en vigueur cette année (IMO Low Sulphur 2020), qui impose la limitation du taux de soufre à 0,5 % au lieu de 3,5 % dans les carburants des navires de toutes les zones maritimes, est encore difficile à mesurer, mais elle aura nécessairement des répercussions sur la qualité et la disponibilité du bitume. Le réseau technique Colas dispose des moyens propres à assurer la vigilance sur l’évolution de cette qualité et à s’adapter aux changements à l’échelle globale.
CONCLUSION
Les implantations de Colas au Canada et aux États-Unis constituent une force pour la technique Colas du fait de sa maîtrise du marché des liants bitumineux, de l’approche Superpave de ceux-ci et des méthodes de caractérisation émergeantes qui influenceront fortement, dans les prochaines années, l’Europe et d’autres parties du monde.
Réciproquement, ces territoires bénéficient de l’importante expertise en solutions innovantes du groupe qui sont autant d’opportunités de développement et d’exportation de la technique française, entre autres, sur le continent américain.
Enfin, pour les toutes nouvelles implantations du groupe en Amérique latine, Colas USA pourra constituer un excellent point d’appui technique dans les années qui viennent.
RÉFÉRENCES
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R. West, C. Rodezno, F. Leiva, F. Yin, National Cooperative Highway Research Program (NCHRP) Project NCHRP 20-07/ Task 406: Development of a Framework for Balanced Mix Design National Center for Asphalt Technology, Auburn University Auburn, AL, 2018.
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David J. Mensching, Ph.D., P.E. Federal Highway Administration. Navigating the Performance Test Jungle: Recommendations to Implementation.
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J.M. Croteau et al., A Paving Solution to Minimize Airport Down Time While Providing Resistance to Surface Deformation : Calgary Airport, Canadian Technical Asphalt Association, 2016.