Révision de la politique européenne d'infrastructures : débat TDIE, TI&M et Mobilettre
Alors que le projet de révision du règlement RTE-T (réseau transeuropéen de transport) est en cours d’examen par le Conseil et le Parlement européens, TDIE et ses partenaires TI&M et Mobilettre ont organisé un débat qui a été l’occasion de présenter et discuter des enjeux, défis et perspectives de la politique européenne des infrastructures de transport pour les prochaines années.
La Commission européenne a présenté en décembre 2021 un projet de révision du règlement RTE-T concernant les grandes orientations de la politique d’infrastructures de l’Union européenne (UE). Ce projet en cours d’examen par le Conseil et le Parlement européens a pour objectif d’accélérer la mise en œuvre d’un réseau multimodal d’infrastructures et de services dotés de standards de haute qualité couvrant l’ensemble du territoire de l’UE, ce qui implique de renforcer l’articulation entre priorités européennes et programmations nationales.
Un débat organisé le 25 octobre 2022 par TDIE, en partenariat avec la revue TI&M et la publication électronique Mobilettre, à la maison de la Chimie à Paris, a réuni plus de 200 personnes pour aborder les défis, les enjeux et les principales perspectives de ce nouveau projet de règlement RTE-T. Avec quels moyens faire progresser la politique d’infrastructures communautaire et comment la France intégrera-t-elle ces nouvelles dispositions dans sa propre politique d’infrastructures ?
Présentation du projet
Après l’ouverture de la matinée par Louis Nègre, coprésident de TDIE, trois personnalités ont présenté le projet de révision du règlement RTE-T : Herald Ruijters, DGA par intérim de la DG Move, directeur des Investissements et des Transports innovants, Dominique Riquet, député européen, co-rapporteur pour la commission des transports et du tourisme (TRAN) du Parlement européen sur le projet de révision du règlement RTE-T, et Sandrine Chinzi, directrice de la DGITM (intérim), directrice des Mobilités routières.
Tous ont souligné combien les conséquences climatiques de la sécheresse de l’été 2022 nous placent devant une réalité qui rend urgente la mise en place de la décarbonation avec ses trois étapes : 2030, 2040 et 2050. Les standards déjà élevés de ces étapes ont été renforcés et étendus à tout le réseau afin d’aboutir à un véritable report modal.
Neuf corridors, dont l’un va jusqu’à Odessa en Ukraine, sont proposés avec le plein soutien des chefs d’État. Les maillons manquants sont nombreux dans ces corridors pour disposer d’une offre complète, par exemple entre la France et l’Italie, entre Montpelier et Perpignan ou entre Bordeaux, Dax et l’Espagne. La réalisation de terminaux multimodaux est indispensable pour assurer le report modal et disposer d’un maillage fin adapté au fret. Quatre cent vingt-quatre nœuds urbains ont été identifiés et devront être équipés de ces terminaux. Ainsi, c’est un projet ambitieux qui requiert le soutien sans faille des États membres pour disposer des besoins énormes de financement.
Dominique Riquet a réaffirmé la volonté de l’Europe de faire avancer la création de grands réseaux transeuropéens. La crise énergétique devient un mal nécessaire pour renforcer les standards de normalisation, notamment sur le ferroviaire, gommer les nombreux goulots d’étranglement et mettre l’accent sur la maintenance, qui assure la pérennité même de ces infrastructures et qui est une forme d’épargne financière. Il convient aussi d’adapter les infrastructures pour parvenir à la neutralité carbone, l’investissement dans ce domaine étant un catalyseur de croissance.
Sandrine Chinzi a rappelé que son administration était tout à fait favorable à la révision de la RTE-T, avec cependant l’existence de points durs à lever et, pour ce faire, le besoin de disposer de quelques mois pour trouver des points de convergence. Les enjeux financiers étant colossaux, la DGITM s’est interrogée sur la véritable efficacité des projets au regard de la réduction des gaz à effet de serre. Elle a exprimé son hésitation par rapport aux mesures contraignantes, aux exigences fortes qui ne sont pas partagées globalement alors que le soutien financier de l’Europe sur la liaison ferroviaire Lyon-Turin est déjà estimé insuffisant.
Herald Ruijters a réagi à ces propos pessimistes en réaffirmant que l’Europe sera au rendez-vous en renforçant la coordination entre les États membres et en sanctuarisant les budgets affectés. Les projets retenus ont des caractéristiques européennes avant tout. Il faut favoriser le transport collectif par le rail ou par la route avec des standards élevés et une indispensable multimodalité, en particulier pour le fret. La période actuelle confirme la nécessité de maintenir des liens entre les réseaux européens et ceux de l’Europe de l’Est avec une attitude plus prospective que par le passé.
Selon Dominique Riquet, l’Europe est en mesure d’intervenir à hauteur de plusieurs centaines de milliards d’euros au cours de la prochaine décennie. Les moyens sont donc au niveau des exigences affichées. Manque une meilleure compréhension des besoins et une volonté politique clairement affichée. Le Comité d’orientation des infrastructures (COI) travaille à un rapport concernant la régénération et la modernisation des réseaux existants, la mobilité du quotidien, la décarbonation des mobilités, le développement du fret ferroviaire et fluvial et la résilience des infrastructures afin d’élaborer un scénario de référence. Peu de projets affichent ce qui peut être épargné en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Cette question doit prendre une part beaucoup plus grande dans les réflexions.
Défis d’une politique européenne d’infrastructures à travers les corridors
Cette première table ronde a réuni : le professeur Peter Baläzs, coordinateur du corridor européen Mer du Nord-Méditerranée, Marc Billiet, conseiller principal Transport de marchandises de l’UE, Jean-Luc Gibelin, vice-Président de la région Occitanie en charge des Mobilités pour toutes et tous, et Dariush Kowsar, directeur Europe de SNCF Réseau (photo 1).
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Les corridors (Mer du Nord-Méditerranée, Irlande-Marseille, Seine-Escault) jouent un rôle important entre les États membres. De bonnes liaisons doivent exister entre l’UE et ses pays voisins. Dans cet ensemble, la route conserve une place notable qui se traduit par un besoin d’infrastructures sûres, efficaces et robustes. Pour autant, tous les modes de transport doivent être pris en compte. Le multimodal est primordial si l’on veut décarboner la route. Des étapes intermédiaires à horizon 2030 et 2040 sont indispensables pour montrer davantage d’ambitions et avoir une approche mieux phasée sans attendre 2050.
À l’échelon régional abordé par Jean-Luc Gibelin, la volonté politique des présidents de région se traduit par un élan fort très favorable au ferroviaire, comme pour l’axe Bordeaux, Dax, Espagne. Dans le secteur Montpelier-Perpignan, la dimension fret, essentielle, doit s’accompagner d’une position plus offensive du gouvernement.
Le contrat de performance sur un réseau vieillissant doit se décliner en deux étapes :
- La première doit porter sur la consolidation, la maintenance et la régénération des infrastructures existantes.
- La deuxième concerne la digitalisation indispensable pour mieux exploiter l’infrastructure en place.
Les démarches sont en cours de déploiement sur Paris-Lyon avec pour objectif d’organiser la capacité du réseau différemment, avec des règles plus contraignantes pour les exploitants. Tout cela crée des chocs d’investissements. L’allocation des ressources appartient et doit être assurée par les pouvoirs publics avec des péages régulés, non dissuasifs.
Gouvernance de la politique d’infrastructures
Au cours de cette deuxième table ronde ont débattu : Barbara Lenz, membre de l’OPSTE (Observatoire des politiques et stratégies de transport en Europe), professeure de géographie des transports, Carlo Secchi, coordinateur du corridor européen Atlantique, et Jean-Marc Zulesi, député des Bouches-du-Rhône (photo 2).
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Il convient de prendre en compte non seulement les corridors, mais aussi les nœuds, et, dans ce cas, à raisonner à l’échelle d’aires urbaines fonctionnelles. Le RTE-T révisé doit constituer un document de référence pour l’harmonisation du ferroviaire à travers l’Europe. Il devra être respecté par les États avec élaboration d’actes d’exécution concernant la majorité des corridors. Ces actes sont nécessaires pour préciser et stimuler les projets. Pour Carlo Secchi, ils doivent afficher une rentabilité de nature à justifier un état d’œuvre.
Pour la majorité des corridors, la problématique de la coordination entre les pays concernés se pose. Ainsi, sur la liaison Lyon-Turin, les Italiens ont rempli leurs engagements techniques alors que le projet ne se développe pas en France. Jean-Marc Zulesi est convaincu que l’Europe peut apporter des solutions concrètes à ces difficultés : la planification est essentielle pour disposer d’un grand plan d’infrastructures à l’échelle de l’Europe, mettre en place les ressources nécessaires et marquer un véritable engagement des États. Selon les intervenants, le fret ferroviaire ne pourra être relancé que grâce à ces corridors européens et aux évolutions de la signalétique. Ils observent que l’on ne parle pas assez de l’Europe au Parlement français afin d’afficher un meilleur portage politique et de donner plus de valeur aux infrastructures du quotidien.
Conclusion
Michel Savy, président du conseil scientifique de TDIE, a résumé les trois heures de débat à deux évidences : les infrastructures sont le socle indispensable à toute évolution. On doit les moderniser, les renouveler, les numériser et en faire des réseaux de distribution d’énergie. Il est primordial d’avoir une pensée européenne, d’avoir une vision à long terme et de réfléchir collectivement sur des réseaux qui reposent sur du temps long.
Louis Nègre a retenu que là où il y a une volonté, il y a une voie. Là où l’on veut créer ou moderniser, on est capable de trouver les ressources nécessaires. Le choc de financement qui en découle impose aux politiques de se mobiliser et de faire des choix.