Eiffage a signé en 2017 un contrat de partenariat avec l’entreprise suédoise Bioservo Technologies AB pour développer un gant robotisé qui puisse convenir à l’environnement exigeant du secteur de la construction. Cet exosquelette actif, entièrement souple, est destiné à accompagner mécaniquement la force naturelle de la main pour réduire l’impact des contraintes physiques pouvant être générées par les manipulations effectuées par les opérateurs. Baptisé Ironhand®, il améliore les performances et le bien-être au travail grâce à une technologie unique couplant IoT et robotique.
Dans le cadre du plan de santé au travail, la direction Prévention d’Eiffage Infrastructures a lancé un partenariat avec la start-up Bioservo Technologies AB visant à développer un gant bionique qui puisse convenir à l’environnement exigeant du BTP.
Le concept du gant consiste à fournir aux compagnons une assistance robotisée pour faciliter leurs tâches quotidiennes, diminuer les contraintes physiques liées aux manipulations et préserver leur santé, notamment des troubles musculosquelettiques (TMS). En France, 87 % des maladies professionnelles sont des TMS, en augmentation de 10 à 15 % chaque année depuis 20 ans, et 40 % de ces TMS touchent la main et le poignet (figure 1).
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Outre l’usage au titre de la prévention des risques, le gant est également destiné à favoriser l’intégration, ou le retour à l’emploi, de personnes en situation de handicap.
L’ambition d’Eiffage en matière de sécurité dépasse le cadre de l’amélioration continue. Seule une approche méthodique, pluridisciplinaire et prospective permet de développer des solutions novatrices en matière de sécurité et de protection sanitaire. C’est pourquoi la direction Prévention d’Eiffage Infrastructures s’est rapprochée de l’expertise médicale, très avancée dans le domaine des prothèses, qui constituent les premiers exosquelettes disponibles sur le marché.
Bioservo Technologies AB a développé en Suède un équipement de réadaptation médicale (Carbonhand ®) grâce auquel l’utilisateur peut retrouver une capacité de préhension perdue ou amoindrie suite à un accident de la vie ou une maladie. Le procédé développé par Bioservo Technologies AB a été réutilisé ensuite par la Nasa et General Motors aux États-Unis.
L’objectif premier du projet a consisté à vérifier s’il était possible d’adapter cette prothèse médicale robotisée à une utilisation dans les métiers du BTP, pour n’importe quel poste de travail nécessitant des manipulations manuelles.
Le projet, composé de 3 phases, a débuté en août 2017 (tableau 1).
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L’objectif du projet est de valider l’adaptation d’exosquelettes actifs, synthétiques, initialement développés comme prothèses médicales, à l’environnement contraignant du BTP (phase 1), puis de valider le concept de gant bionique, à partir d’un équipement d’assistance physique, en développant un premier prototype souple utilisable sur n’importe que poste de travail du BTP (phase 2).
Plusieurs postes de travail pour lesquels la main et le poignet sont fortement sollicités ont été identifiés par la direction Prévention dans le Groupe Eiffage (Eiffage Route, Eiffage Génie Civil, Eiffage Métal, Eiffage Énergie Clemessy Services, APRR).
PHASE 1 - FAISABILITÉ : TEST SUR CARBONHAND
Les premiers tests ont été réalisés au cours du second semestre 2017, sur une période de plusieurs semaines, pendant laquelle les salariés ont utilisé le gant Carbonhand en situation réelle de travail. Le gant Carbonhand est une prothèse médicale souple, portable, équipée de 3 capteurs de force situés sur la dernière phalange du pouce, du majeur et de l’annulaire. Le microprocesseur intégré dans le gant ajuste la force nécessaire à appliquer à ces trois doigts pour retrouver la force normale d’une main grâce à l’activation de tendons synthétiques intégrés dans le tissu du gant.
La direction Prévention d’Eiffage Infrastructures a identifié plusieurs postes de travail pour lesquels le gant Carbonhand a été testé en situation réelle (tableau 2).
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Le principe d’assistance aux mouvements de la main est fondé sur l’enregistrement des forces exercées par trois doigts de la main lors de cycles de préhension (figure 2) grâce aux capteurs situés au niveau de la dernière phalange du pouce, du majeur et de l’annulaire. Le microprocesseur intégré au gant bionique ajuste la force nécessaire à appliquer à chaque doigt pour assister la main grâce à l’activation de tendons synthétiques intégrés dans le gant.
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L’analyse des données enregistrées par le microprocesseur du gant indique une réduction de 10 à 20 % des efforts de la main grâce au gant Carbonhand. Le potentiel de la technologie développée par Bioservo Technologies AB a été démontré pour plusieurs postes de travail en situation réelle. Il est donc possible de prévoir l’adaptation de cette technologie à un usage dans le BTP.
Le 29 juin 2018, deux gants de première génération ont été remis au siège d’Eiffage, à Vélizy-Villacoublay, à deux collaborateurs d’Eiffage.
PHASE 2 – CONCEPTION DE IRONHAND
Après les tests réalisés au cours du second semestre 2017, un nouveau prototype de gant a été conçu : ajout de capteurs, augmentation de la force développée, rapidité du temps de réaction des articulations synthétiques, ergonomie… Ce nouveau gant, baptisé Ironhand, est maintenant expérimenté depuis plusieurs mois en situation réelle de travail.
LE GANT BIONIQUE IRONHAND
Le gant est équipé de 6 capteurs : 5 au niveau de la dernière phalange de chaque doigt de la main, et le 6e au niveau de la paume. Les tendons synthétiques intégrés dans le tissu du gant suivent l’anatomie de chaque doigt. Ils peuvent développer une force de l’ordre de 4 kg par doigt (photo 1) en se substituant à la force qu’aurait dû développer l’opérateur.
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Le gant Ironhand est polyvalent. Il peut être utilisé à n’importe quel poste de travail qui nécessite des manipulations manuelles, plus ou moins fréquentes : saisir, serrer, maintenir, empoigner, pincer, couper, brider, cintrer, enserrer, agripper, souder, soutenir, tirer, pousser, tenir, utiliser un objet.
Le gant est relié le long du bras, à une unité motrice qui peut être utilisée pendant 7 heures en continu par le salarié, de façon autonome. Ce système mobile est à la fois portable et léger. Le gant pèse 20 grammes, et l’unité motrice 800 grammes à terme.
Ce système est universel puisqu’il est utilisable pour toutes les tâches où la main et le poignet sont fortement sollicités. Les capacités du gant bionique sont personnalisables pour chaque compagnon, grâce au boîtier de commande.
Les capteurs situés dans le gant enregistrent les pressions exercées par la main. Le microprocesseur intégré dans le gant développe et ajuste alors la force nécessaire à appliquer à chaque doigt, grâce à une unité motrice située dans le dos, pour réduire l’effort par l’activation de tendons synthétiques intégrés dans le gant.
Le volume de la force appliquée par les tendons synthétiques est réglable par l’opérateur grâce à une télécommande fixée au niveau de l’épaule sur l’une des bretelles du sac à dos.
DES RÉSULTATS PARTICULIÈREMENT ENCOURAGEANTS
Le principe de mesure de réduction des efforts est fondé sur l’enregistrement des forces exercées par chaque doigt de la main lors de cycles de préhension (figure 3) grâce aux capteurs situés au niveau de la dernière phalange de chaque doigt de la main. Le microprocesseur intégré au gant bionique calcule alors le nombre de cycles associé aux différentes forces pouvant s‘exercer sur chaque doigt de la main équipé d’un capteur au niveau de la dernière phalange.
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Lorsque le gant bionique est activé, le microprocesseur ajuste la force nécessaire à appliquer à chaque doigt pour réduire l’effort grâce à l’activation de tendons synthétiques intégrés dans le gant.
La réduction des efforts de la main est calculée par la différence entre ces deux mesures sur chaque doigt de la main, après correction du facteur d’intensité de force choisi par l’opérateur.
L’activation du gant peut être réglée de différentes façons :
- Plusieurs doigts sont associés entre eux, suivant un doigt directeur dans le mouvement de la main (par exemple, l’index lorsque l’on utilise la gâchette d’un pistolet à silicone).
- Les mouvements de doigt sont indépendants les uns des autres.
- La réduction de l’effort est concentrée sur une partie de la main, voire sur un doigt ou deux (par exemple, l’annulaire lors de travaux de chaudronnerie).
Ce réglage adapté à chaque poste et chaque utilisateur se fait, via wifi, grâce à un module de paramétrage.
L’intensité de force apportée par les tendons synthétiques peut être modulée par l’opérateur lors de son utilisation (il existe quatre niveaux d’intensité) grâce à la commande associée au gant bionique (photo 1).
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Le gant bionique Ironhand est maintenant expérimenté depuis plusieurs mois en situation réelle sur plusieurs postes de travail identifiés chez Eiffage (tableau 3).
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L’analyse des données enregistrées par le microprocesseur du gant bionique a démontré que la réduction d’efforts pour l’opérateur est systématique, pour tous les postes de travail sélectionnés pour tester Ironhand. L’intensité de la réduction ou de compensation des efforts est quant à elle variable de 25 à 80 % en fonction du poste de travail et de la fréquence des manipulations effectuées par l’opérateur.
ÉVALUATION DU RISQUE D’EXPOSITION AUX TMS DE LA MAIN
Eiffage a cherché à intégrer les résultats obtenus à partir du microprocesseur d’Ironhand dans des méthodes d’évaluation du risque d’apparition des TMS déjà publiées dans la littérature scientifique médicale.
Les différents paramètres liés au mouvement de la main (cycles de préhension, mouvement dynamique ou statique de chaque doigt, temps d‘activité, niveau de force) sont enregistrés par le microprocesseur d’Ironhand pour chaque utilisateur. Ces paramètres et données ont été confrontés à la méthode d’évaluation du risque TMS développée et publiée en 2017 par l’équipe de recherche en médecine du travail, technologie de sécurité et ergonomie de l’institut ASER en Allemagne (Institut für Arbeitsmedizin, Sicherheitstechnik und Ergonomie), dite méthode KIM-MHO1(figure 4).
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Pour les chercheurs de l’institut ASER, les opérations de manutention manuelle (ou Manual Handling Operations (MHO)) sont connues pour être des facteurs de risque de TMS des membres supérieurs, typiquement le syndrome du canal carpien. Pour estimer le risque de TMS, cette équipe a développé la méthode de l’indicateur clé (Key Indicator Method (KIM)) pour évaluer les risques lors d’opérations de manutention manuelle.
La méthode a été validée et prend en compte directement les facteurs suivants :
- la durée totale des opérations de manutention manuelle par poste ;
- le type, durée et fréquence de force exercée(s) ;
- les conditions de préhension ;
- la position de la main et du bras ;
- le mouvement.
Les données du microprocesseur d’Ironhand ont été intégrées dans un module de calcul de la méthode KIM-MHO.
Les derniers travaux publiés sur le risque d’apparition de TMS (syndrome du canal carpien), avec notamment l’apport du big data en sciences médicales via les méta-analyses de données scientifiques, font apparaître des facteurs individuels tels que l’indice de masse corporelle (IMC)2. Pour intégrer ce facteur individuel, Eiffage a fait le choix de mesurer la force individuelle de préhension de chaque utilisateur et de comparer cette valeur à des références internationales.
L’indicateur KIM-WHO final intégrant à la fois la méthode de calcul KIM-MHO et les capacités physiques individuelles permet d’évaluer le risque d’apparition de TMS à la main ou au poignet.
Une enquête sous forme de questionnaire a été élaborée, avec l’équipe d’ergonomes de Bioservo Technologies AB, afin de détecter des personnes présentant des microtraumatismes au niveau de la main et du poignet. Grâce à Bioservo Technologies AB, l’étude a pu être menée en lien avec la faculté de médecine de l’université royale de Stockholm. Elle a ensuite été présentée aux différents CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) d’Eiffage Infrastructures avant le début des phases 1 et 2 de test sur chantiers.
Cette enquête a mis en évidence qu’un tiers des salariés volontaires (âgés de plus de 40 ans) présentait des microtraumatismes de la main et du poignet qui se traduisaient par des fourmillements, des raideurs ou encore une perte de sensibilité (figure 5).
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L’analyse statistique des postes étudiés de la seconde phase du projet du gant bionique a été réalisée sur les cas présentant au moins 6 sujets et notamment pour le poste de tireur au râteau chez Eiffage Route.
Pour ce poste, la réduction de l’effort de la main est de 39 à 65 %, les opérateurs ayant choisi des réglages du gant bionique assez proches, où la force de préhension est le paramètre contrôlant le gant.
L’enregistrement de données pour chaque utilisateur et chaque poste a ensuite été analysé par la méthode KIM-MHO. Les résultats de l’évaluation du risque TMS (figure 6) mettent en avant l’apport bénéfique du gant bionique sur les postes de travail pour lesquels le risque était initialement modéré, voire élevé.
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À l’avenir, une optimisation des réglages du gant bionique devrait permettre de supprimer les derniers cas répertoriés en risque modéré.
La recherche, actuellement en phase 3, se poursuit sur :
- l’impact à long terme du gant bionique pour les utilisateurs ;
- des tests pour des métiers très différents rencontrés dans le groupe Eiffage (agent autoroutier, soudeur, chaudronnier, mécanicien, coffreur...) ;
- la durée de vie du produit.
CONCLUSION
Ce projet mené en partenariat entre Eiffage et la start-up Bioservo Technologies AB depuis août 2017 a montré qu’il était possible de concevoir un gant bionique adapté aux environnements exigeants du BTP.
Le gant bionique Ironhand est utilisable pour toutes les tâches où la main et le poignet sont fortement sollicités. La technologie du gant, couplée à la méthodologie d’évaluation du risque KIM-MHO, permet de personnaliser les capacités d’Ironhand pour chaque compagnon.
Des compagnons volontaires ont testé le gant en situation de travail dans des métiers très différents : infrastructures routières, travaux de génie civil et de métallurgie. Tous ont constaté une amélioration dans l’exécution des tâches, confirmée par l’analyse des données du microprocesseur du gant qui indique une réduction, ou une compensation, de 25 à 82 % des efforts produits par la main de l’opérateur, selon le travail effectué.
Eiffage et Bioservo travaillent actuellement sur des évolutions qui pourraient compenser les efforts du bras complet. Ces exosquelettes synthétiques constituent une nouvelle génération d’équipement individuel qui aura pour mission d’assister et de protéger les salariés dans le futur.
RÉFÉRENCES
1. A. Klussmann, F. Liebers, H. Gebhardt, M. A. Rieger, U. Latza, U. Steinberg, "Risk assessment of manual handling operations at work with the key indicator method (KIM-MHO) – determination of criterion validity regarding the prevalence of musculoskeletal symptoms and clinical conditions within a cross-sectional study", BMC Musculoskeletal Disorders, 2017.
2. A. Kozak, G. Schedlbauer, T. Wirth, U. Euler, C. Westermann, A. Nienhaus, "Association between work-related biomechanical risk factors and the occurrence of carpal tunnel syndrome: an overview of systematic reviews and a meta-analysis of current research", BMC Musculoskeletal Disorders, 2015.