En Afrique du Sud, plus de 90 % des routes étant issues de l’industrie du bitume (traitements de surface bitumineux, enrobés et couches de base dérivées du bitume), elles peuvent jouer un rôle déterminant dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cette industrie travaille d’ailleurs depuis de nombreuses années au développement de technologies plus propres, comme les enrobés tièdes, à la réutilisation de matériaux recyclés et de déchets et à la diminution des émissions liées à la production.
• Des efforts sont faits pour développer l’usage des enrobés tièdes et le recyclage des enrobés à chaud. Les coproduits comme les plastiques et le caoutchouc émietté sont également explorés pour améliorer la durabilité des routes.
• Afin de poursuivre sur cette voie, l’Afrique du Sud doit déterminer des objectifs précis pour l’utilisation de matériaux recyclés, produire des spécifications pour des pratiques durables et évaluer le cycle de vie de ses projets routiers.
Le réseau routier sud-africain (tableau 1) s'étendrait sur 750 000 km, dont 131 919 km de routes non recensées. Les routes nationales, gérées par la South African National Roads Agency (SANRAL), couvrent environ 22 262 km et représentent 3,6 % du réseau recensé, 34,5 % de la distance parcourie chaque année par les véhicules dans le pays et plus de 70 % du transort de marchandises à longue distance.
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Objectifs et initiatives de décarbonation
du gouvernement sud-africain
Le gouvernement sud-africain a fixé des objectifs de décarbonation précis afin de lutter contre le changement climatique et de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). En 2020, les émissions nationales s’élevaient à 508,38 Mt CO2 eq., soit 1,13 % des émissions mondiales.
Dans le cadre de l’Accord de Paris, les contributions déterminées au niveau national de l’Afrique du Sud ont été modifiées en septembre 2021, l’appelant à abaisser ses émissions de GES à 398-510 Mt CO2 eq. d’ici 2025 et 350-420 Mt CO2 eq. d’ici 2030. Le pays vise également la neutralité carbone d’ici 2050. La figure 1 présente plusieurs initiatives mises en place par l’Afrique du Sud pour atteindre ses objectifs de décarbonation.
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Initiatives de décarbonation dans l’industrie routière
Stratégie de transport vert pour l’Afrique du Sud (2018-2050)
En Afrique du Sud, la planification des transports au sein même du secteur est régie par le Plan directeur national des transports 2050 (NATMAP 2050) en faveur de la préservation de l'environnement et de services de transport accessibles et abordables. En réponse au NATMAP et au livre blanc sur la polique nationale de réponse au changement climatique, le ministère des Transports sud-africain a lancé, en 2018, la Stratégie de transport vert (GTS), avec un objectif de réduction des émission de GES de 5 % d'ici 2050 pour le secteur des transports, tout en maximisant le rôle du transport dans la promotion de la croissance économique.
La GTS propose l’adoption de mesures de types accessibilité à pied, planification d’occupation des sols intégrée et amélioration du taux d’occupation des véhicules. S’agissant du transport routier, responsable de 91,2 % des émissions du secteur des transports, l’une des mesures phares réside dans la transition vers les transports collectifs, le transport ferroviaire de marchandises et l’utilisation de combustibles fossiles plus propres, notamment le biogaz et la mobilité électrique utilisant l’énergie solaire.
La GTS s’articule autour de 6 objectifs stratégiques à court terme. Le tableau 2 en détaille deux en lien avec les routes vertes et le transport vert, mais sans date butoir ou de livraison.
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Le plan de mise en œuvre de la GTS prévoit des mesures spécifiques pour le secteur routier, notamment l’élaboration de normes et directives écologiques de construction d’infrastructures routières à faible émission de carbone et résilientes face au changement climatique, comme des voies réservées aux bus, des bornes de recharge de véhicules électriques et des stations de biogaz, GNC et GNL.
Enrobés tièdes
La municipalité métropolitaine d’eThekwini a été le fer de lance du développement de la technologie des enrobés tièdes dès 2008. Le premier tronçon d’essai d’enrobés tièdes du pays a été réalisé en novembre 2008 sur Brackenhill Road, Waterfall, une banlieue de Durban située à environ 30 km à l’intérieur des terres.
Entre 2011 et 2014, l’Afrique du Sud a accompli d’importants progrès dans l’adoption et l’application de la technologie des enrobés tièdes (figure 2), dont les avantages sont nombreux : économie d’énergie, réduction des émissions, recyclage écologique du bitume...
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Malheureusement, après 2014, les enrobés tièdes ont manifestement tendu à disparaître, comme le confirment les résultats de l’enquête sur la durabilité que SABITA a menée auprès de tous ses membres courant 2023. Cinq grands producteurs de bitume et d’enrobés, représentant près de 60 % du marché, ont répondu que leurs usines n’avaient fabriqué que 4,4 % d’enrobés tièdes entre 2020 et 2022.
Enrobés recyclés
L’Afrique du Sud commence à s’intéresser au recyclage des enrobés dans les années 1980, témoignant de sa prise de conscience précoce des avantages environnementaux et économiques de cette technique. De remarquables projets pilotes, guidés par une recherche innovante et des avancées techniques, ont jeté les bases d’un engagement du pays en faveur de l’utilisation de ce matériau.
Au départ, en l’absence de fraiseuses, les bulldozers arrachaient de grandes dalles d’enrobés (photo 1), qui étaient ensuite broyées par des concasseurs à mâchoires et des centrales d’enrobage à tambour, où un brûleur chauffait les agrégats d’enrobés (AE). Le mélange était entièrement composé d’AE auxquels était ajouté du bitume neuf.
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Les AE ont été nettement moins utilisés du milieu des années 1990 au milieu des années 2000 en raison des conditions du marché, avant de connaître une reprise due au prix élevé des ressources, comme les granulats, et à leur introduction sous forme d’enrobés à chaud. Les directives techniques ont été mises à jour en 2009, sous le titre « Hot Mix Asphalt Recycling » (recyclage des enrobés à chaud (HMA)).
Au vu des développements en Afrique du Sud et au niveau mondial, une nouvelle version, intitulée « Use of Reclaimed Asphalt in the Production of Asphalt » (Utilisation d’enrobés recyclés dans la production d’enrobés), a été publiée en 2017. Elle aborde de nouveaux aspects, comme la définition de la terminologie de spécification de la proportion d’AE dans un mélange, qui affecte le traitement des AE, les routines de conception et la conformité des tests.
On estime à 3,50 millions de tonnes par an la production d’enrobés en Afrique du Sud et, en 2014, à environ 10 % l’utilisation d’AE dans cette production. L’enquête 2023 de SABITA a révélé que 132 611 tonnes d’AE ont été utilisées en 2022 (figure 3), ce qui représente 8,5 % des 1,57 million de tonnes d’enrobés fabriquées par les producteurs participants, soit un pourcentage inférieur à l’estimation de 2014.
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Coproduits dans les routes
En Afrique du Sud, l’utilisation de plastiques et d’autres coproduits dans la construction routière a connu plusieurs développements. Le recours aux plastiques vise, dans ce contexte, à réduire la pollution de l’environnement, à favoriser le recyclage et à améliorer la durabilité des routes.
En Afrique du Sud, le Conseil pour la recherche scientifique et industrielle, en collaboration avec les industries du plastique et de la route, mène un projet de démonstration destiné à l’évaluation de l’incorporabilité de déchets plastiques dans la construction des routes. L’initiative est financée par le ministère des Sciences et de l’innovation, dans le cadre de la feuille de route pour la recherche, le développement et l’innovation en matière de déchets.
Le site de démonstration construit à Gauteng offrira une orientation aux futurs projets similaires. Il prévoit notamment des évaluations en laboratoire et une phase de démonstration incluant l’application de la technologie sur une section de route à l’aide d’un simulateur de véhicules lourds (photo 2).
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Une nouvelle technique utilisant du caoutchouc émietté a été introduite en Afrique du Sud. En novembre 2012, le caoutchouc émietté et diverses formulations de mélanges ont été testés sur des sections du projet de remise en état de Misgund, sur la N1, au sude de Johannesburg. Le caoutchouc émietté a ensuite été mis en œuvre avec des coulis bitumineux et plusieurs autres tronçons d’essai ont été mis en place.
Le caoutchouc émietté possède des propriétés de résilience et de reprise après compression équivalentes à celles du bitume-caoutchouc classique, mais sa viscosité, son point de ramollissement et ses propriétés de fluage permettent de réduire les températures de fabrication et d’application.
L’enquête de durabilité 2023 de SABITA indique que ses principaux membres en ont produit près de 102 000 tonnes, ainsi que 40 000 tonnes de bitume-caoutchouc, au cours de la période 2020-2022.
Conclusion et perspectives
Les industries des routes et des enrobés sud-africaines se démarquent par plusieurs réussites manifestes :
- Les efforts et crédits de recherche et développement ont permis de développer des matériaux innovants, de mettre en place des processus de recyclage et de construction et d’élaborer des directives techniques.
- Les industries des routes et des enrobés sont soutenues par de solides réseaux collaboratifs.
- Par le biais d’associations et d’événements, elles ont pu communiquer sur l’importance de la décarbonation pour le secteur.
Cependant, le chemin est encore long avant de récolter tous les fruits de ces efforts. La politique et la réglementation constituent les principaux obstacles. Des objectifs doivent encore être fixés pour réduire les émissions de carbone de l’industrie des enrobés :
- détermination de pourcentages de matériaux recyclés dans les enrobés ou réduction des émissions issues de la construction et de la production des matériaux bitumineux ;
- élaboration de spécifications sur l’utilisation de matériaux, techniques et pratiques durables ;
- développement de méthodes d’évaluation du cycle de vie pour estimer l’impact de la décarbonation des projets de construction routière ;
- obligation de déclarations environnementales des produits des projets...
L’intensification des programmes de formation et des ateliers à tous les niveaux de l’industrie devrait assurer la contribution des industries des routes et des enrobés aux efforts de l’Afrique du Sud dans la réduction de ses émissions de GES de 5 % d’ici 2050, tout en maximisant le rôle du transport dans la promotion de la croissance économique.