Développé par Eiffage Route, Recytal®-ARM, procédé de régénération en place des anciennes chaussées bitumineuses à l’émulsion biosourcée, a été retenu en 2017 par le Comité innovation routes et rues (CIRR) pour une expérimentation en situation réelle. En juillet 2018, il a donné lieu à un chantier expérimental sur la RD 670, réalisé grâce à la volonté du Conseil départemental de la Gironde et à l’appui technique du Cerema.
Outil porté par la Direction générale des infrastructures de transport et matériaux (DGITM) du ministère de la Transition écologique et solidaire, avec le concours de l’Idrrim et du Cerema, l’appel à projets du CIRR vise à soutenir des projets innovants développés par l’industrie routière française en leur permettant de bénéficier d’une expérimentation concrète sur le réseau national.
Recytal-ARM ayant été distingué par le CIRR en 2017, le Conseil départemental de la Gironde (CD 33) a souhaité l’expérimenter pour l’entretien de son réseau routier, avec l’appui technique du Cerema. Cet article présente le procédé Recytal- ARM ainsi que l’expérimentation conduite sur la RD 670 en juillet 2018, au cœur du vignoble bordelais.
Politique routière du département de la Gironde
L’innovation représente un enjeu important pour le CD 33, qui encourage fortement ses services à être acteurs dans ce domaine. La mobilité et, plus précisément, les infrastructures routières étaient déjà fortement engagées dans les actions de l’Agenda 21 départemental (2007), notamment dans le domaine des travaux routiers.
La convention d’engagement volontaire (CEV), signée en 2010 et rejointe par Bordeaux Métropole en 2013, a traduit l’engagement de tous les acteurs girondins de la route dans ce cadre partenarial et responsable.
Depuis plusieurs années déjà, des techniques routières innovantes plus respectueuses de l’environnement et de la biodiversité ont été mises en œuvre sur le réseau routier du CD 33 : réduction des températures des enrobés, intégration de pourcentages élevés d’agrégats d’enrobés (AE) dans les chaussées, techniques de fabrication et de mise en œuvre réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES). Tenant compte du déficit de matériaux à proximité, le Département de la Gironde a également souhaite accentuer son action sur la préservation des ressources naturelles tout en ayant recours à un circuit court et local dans sa commande publique.
Ainsi, depuis 2008, 1 375 000 m2 de chaussées ont été retraitées en place, très majoritairement au liant hydrocarboné, sur les routes girondines, épargnant l’équivalent de 25 000 tonnes de granulats naturels par an, soit un gain de 9 700 t eq CO2 (chiffre issu de l’analyse avec l’éco-comparateur SEVE).
Le CD 33 privilégie également l’utilisation des enrobés dits tièdes, voire semi-tièdes : en 2017, cette technique représentait environ 80 % des enrobés commandes.
Réponse de l’entreprise Eiffage
Au regard des enjeux techniques et environnementaux actuels, il est primordial de proposer aux maitres d’ouvrage des produits et des procédés performants, écoresponsables et économiques afin de limiter la dépendance des entreprises routières aux dérivés pétroliers tout en favorisant le recyclage et la valorisation de coproduits industriels locaux.
Dans ce contexte, Eiffage Route a développé un atelier de retraitement mobile spécifique, l’ARMR 25001, qui autorise un recyclage à 100 % des anciennes chaussées bitumineuses à l’aide d’une émulsion biosourcée, au liant végétal, dénommée Recytal2.
L’ARM 2500
Le retraitement en place à froid est une technique d’entretien routier éprouvée et économique, qui consiste à retraiter tout ou partie d’une chaussée avec un liant d’apport (émulsion régénérante de bitume, modifiée ou non). L’opération est réalisée au moyen d’ateliers mobiles qui assurent les fonctions suivantes :
- rabotage de la chaussée en place ;
- homogénéisation/incorporation et malaxage avec le liant d’apport (émulsion dans le cas présent) ;
- remise en œuvre des matériaux enrobés.
L’ensemble de ces opérations s’effectue à température ambiante.
Les avantages du retraitement en place sont multiples :
- rapidité d’exécution ;
- suppression du transport de matériaux ;
- réduction des coûts en carburant, de la consommation d’énergie et des émissions de GES ;
- diminution de la gêne aux usagers de la route et aux riverains (délai réduit et travail en alternat) ;
- amélioration de la sécurité des chantiers, grâce à une réduction des entrées et sorties de camions nécessaires aux approvisionnements et évacuations de matériaux ;
- économies de matériaux significatives : réemploi total de la chaussée en place et mise en décharge supprimée.
La technologie de retraitement en place, conjuguée à l’emploi de produits faiblement pourvus en composes d’origine pétrochimique, apporte donc une réponse adaptée aux problématiques techniques, environnementales et économiques actuelles des maitres d’ouvrage.
Atouts du procédé Recytal-ARM
Le déploiement du procédé permet de cumuler de nombreux avantages :
- des performances techniques adaptées aux particularités des routes du département (climat, agressivité du trafic, trace) ;
- des performances sociétales, la rapidité d’exécution du procédé qui sera déployé diminuant la gêne aux usagers de la route et aux riverains ;
- des performances environnementales permettant à cette technique de répondre aux objectifs de la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV)3.
Le déploiement du procédé Recytal-ARM contribue ainsi au respect de l’environnement (figure 1).
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Le procédé Recytal-ARM
Ce procédé associe l’emploi de l’ARM 2500 et l’utilisation d’une émulsion biosourcée afin de rendre plus efficaces les opérations de retraitement d’anciennes chaussées par régénération du bitume vieilli des AE.
La particularité de ce dispositif réside dans le fait qu’il dispose d’un sens de coupe inverse (système down-cut – percussion du haut vers le bas) et ne possède pas de finisseur intègre (figure 2), ce qui lui confère :
- une grande maitrise de l’homogénéité de la granulométrie des fraisats (il n’y a pas d’enlèvement de plaques) ;
- un meilleur contrôle de l’uni longitudinal grâce à une mise en œuvre à l’aide d’un finisseur indépendant, comme pour une mise en œuvre classique d’enrobés.
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Le déploiement du procédé Recytal-ARM pour l’entretien programme des routes en lieu et place de solutions dites « classiques » à base d’enrobés bitumineux fabriques et mis en œuvre à chaud présente de nombreux avantages :
- Le recyclage total et in situ sans matériaux d’apport issus d’anciennes chaussées bitumineuses dégradées contribue à réduire les couts et la consommation en carburant dus au transport de matériaux neufs.
- La technique des enrobés à froid à base d’émulsion alternative sans bitume permet une économie d’énergie significative, limitant ainsi les émissions sur chantier (HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques), COV (composés organiques volatils)).
- Le procédé utilise des composes biosourcés, et plus particulièrement des coproduits d’origine sylvicole issus de l’industrie papetière, qui ne sont donc pas en compétition avec la filière alimentaire.
- Les mélanges utilises présentent des performances techniques conformes aux spécifications requises par le guide Sétra de 2003 Retraitement en place à froid des anciennes chaussées4.
- Il garantit des performances sociétales et environnementales : la rapidité d’exécution, le recyclage, la fabrication et la mise en œuvre simultanés en un même lieu diminuent la gêne aux usagers de la route et aux riverains pour une meilleure acceptabilité du chantier. En effet, le dispositif retraite en deux passes chaque voie de chaussée, ce qui autorise la réalisation de travaux sous circulation alternée, et donc sécurisée.
Il faut également préciser que cette technologie s’inscrit dans une dynamique d’économie circulaire qui répond aux objectifs de la LTECV (figure 3).
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À ce titre, il est nécessaire de spécifier que la matière première principale de l’émulsion biosourcée est originaire de la région Nouvelle-Aquitaine, l’émulsion ayant, quant à elle, été produite dans une usine GIE – part Eiffage, en Gironde.
Expérimentation conduite avec le CD 33
Contexte
Afin de valider la faisabilité, les performances et la pérennité du procédé Recytal-ARM par la réalisation d’un chantier, le CD 33 a souhaité l’expérimenter sur l’une des routes de son réseau.
Un protocole et un cadre d’expérimentation ont été établis et validés par les parties prenantes : le CD 33, le Cerema (DTer Ouest à Saint-Brieuc et DTer Sud-Ouest à Bordeaux), la DGTIM et Eiffage.
Section retraitée
La RD 670 est une section du réseau secondaire de la Gironde soumise à un trafic T2 (150 à 300 PL/ jour/sens) constituée principalement d’anciens enrobés bitumineux d’épaisseurs variables et mis en œuvre sur une grave traitée aux liants hydrauliques (GTLH).
Les auscultations réalisées en amont du chantier sur les deux sections (S1 et S2) ont révélé la présence de diverses dégradations structurelles et superficielles, probablement liées à un vieillissement avance des liants des enrobés : fissuration, arrachements superficiels, décohésion de surface. La section concernée par le retraitement envisage couvre un linéaire de 2 000 m pour une surface d’environ 14 000 m2.
Au terme des échanges entre le Cerema et le CD 33, il a été décidé de retraiter la section concernée sur une épaisseur comprise entre 8 et 11 cm afin de consolider l’interface entre la structure bitumineuse de surface et la structure de base en GTLH.
Étude de laboratoire
L’étude de formulation a été réalisée au Centre d’études et de recherche Eiffage Infrastructures à Corbas (69). L’objectif performantiel vise dans le cadre de cette étude a consisté en l’obtention d’une classe II au sens du guide Sétra relatif au retraitement en place des anciennes chaussees3.
En effet, il a été considéré que, compte tenu de la profondeur de rabotage envisagée, le mélange final devrait contenir environ 10 % de GTLH dans les AE.
Agrégats d’enrobés
Les caractéristiques des AE issus de divers prélèvements réalisés au droit de deux zones à retraiter (sections 1 et 2) sont rassemblées dans le tableau 1. Les résultats des caractérisations après récupération des liants mettent en évidence un vieillissement oxydatif prononce des liants extraits de la structure en place. Ces valeurs sont légèrement en dehors des spécifications mentionnées dans le guide Sétra pour un retraitement à l’émulsion de bitume.
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Émulsions
Dans le cadre de l’étude, comme lors de la réalisation du chantier, deux émulsions ont été retenues et évaluées (tableau 2) : l’une formulée à partir de bitume, l’autre à partir d’un coproduit biosourcé.
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Mélanges testés
Les mélanges retenus pour l’étude de formulation sont présentés dans le tableau 3.
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Résultats de l’étude
Les résultats de l’étude de laboratoire conduite à partir des mélanges mentionnés dans le tableau 3 sont présentés dans le tableau 4.
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Les principaux résultats indiquent que les deux mélanges formulés sont conformes aux spécifications du guide Sétra pour un retraitement de classe II, mais également de classe III. Il est à noter que le niveau de performances du mélange contenant de l’émulsion biosourcée est supérieur à la solution à base d’émulsion de bitume, notamment grâce à son pouvoir de remobilisation du bitume vieilli des AE.
Expérimentation de la RD 670
Mise en œuvre
Le chantier s’est déroulé du 2 au 6 juillet 2018. L’opération a consisté à retraiter environ 14 000 m2 (dont 7 000 m2 avec le procédé Recytal-ARM) sur une profondeur comprise entre 8 et 11 cm visant ainsi à traiter et consolider l’interface avec la couche de GTLH.
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Les opérations de rabotage, de mélange des matériaux avec les émulsions et de transfert vers le finisseur ont été effectuées de manière consécutive par l’atelier ARM 2500.
Compte tenu de la grande affinité des composes de l’émulsion biosourcée pour le bitume, l’indice de rupture a été spécifiquement calibre lors de l’étude de formulation pour l’opération de retraitement en place. De ce fait, le comportement du mélange à base de l’émulsion biosourcée s’est avéré particulièrement adapté et proche de celui de l’émulsion de bitume.
La mise en œuvre proprement dite et le compactage ont été réalisés à l’aide d’un finisseur Vogele 2100-2 spécifiquement adapte à la mise en œuvre des enrobés à froid.
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Deux compacteurs différents ont été utilisés pour le compactage : le premier équipe de pneus (Corinsa CC1421), le second de type tandem oscillant Hamm HDO120.
L’avancement du finisseur a été ajusté sur celui de l’ARM 2500 et réglé à une vitesse de 5 m/min en moyenne. Le comportement des matériaux sous la table du finisseur s’est avéré très satisfaisant. Il n’a pas été nécessaire de procéder à des arrêts de l’atelier en raison d’une portance insuffisante de la table du finisseur, incident récurrent avec les mélanges à base d’émulsions.
In fine, les enrobés à froid mis en œuvre présentent des aspects de surface homogènes, sans défauts apparents et similaires, tant au niveau de la couleur que de l’aspect de surface et de la macrotexture.
Contrôles
Un cadre d’expérimentation exhaustif a été mis en place par les parties prenantes, à savoir le Cerema, le CD 33 et Eiffage.
Ce suivi, établi pour une durée de 3 ans, concerne :
- le contrôle de la production des émulsions (base bitume ou biosourcée Recytal) et des enrobés (composition et performances) ;
- la qualité des enrobés à froid mis en œuvre (homogénéité, teneurs en eau et en vides, évaluation des défauts de surface et mesure de l’uni) ;
- les performances de la structure retraitée (évolution de l’adhérence : coefficient de frottement (CFL)), macrotexture, uni, déformations TUS (transversoprofilomètre à ultrasons) et FWD (Falling Weight Deflectometer), modules de rigidité, défauts visuels divers).
Conclusions
L’expérimentation Recytal-ARM, conduite en partenariat avec le Conseil départemental de la Gironde et le Cerema, a démontré la faisabilité de chantiers de retraitement et bio-régénération à partir d’émulsions alternatives biosourcées.
Les études de laboratoire, les observations in situ et le bilan environnemental tendent à montrer l’efficience de cette solution. Cela implique cependant que l’étude de formulation amont ait intègre l’ensemble des particularités inhérentes à l’utilisation de coproduits biosourcés : disponibilité et variabilité des ressources, efficacité de la régénération du bitume vieilli…
Le chantier réalisé fera l’objet d’un suivi durant plusieurs années. Il sera ainsi possible de comparer l’évolution des performances des enrobés en conditions réelles à celle des mélanges confectionnes en laboratoire et vieillis artificiellement2.
In fine, le bilan technique et environnemental du procédé doit permettre d’envisager, à court et moyen terme, un déploiement plus large de cette technique à l’échelle nationale.
Les auteurs tiennent à remercier toutes les personnes qui ont contribué à la réussite de cette expérimentation , notamment les personnels du Département de la Gironde, en premier lieu son président, Jean-Luc Gleyze, et son vice-président aux infrastructures, Alain Renard, le Cerema ainsi que tous les intervenants Eiffage (notamment Yves Gabez, responsable d’exploitation des Procédés spéciaux, le service technique régional d’Eiffage Route Sud- Ouest, ainsi que l’agence Eiffage Route du Haillan (33), en particulier le chef de secteur Alain Ducos).
RÉFÉRENCES
1. Y. Lalain, J. Thomas, J.-Y. Daire, J. Rodriguez, J.-M. Rivière, C. Giorgi, « L’ARM 2500 – Une nouvelle machine de retraitement des chaussées », RGRA n° 926, mars-avril 2015.
2. F. Loup, J.-M. L’Huillier, « Recytal® : entretien des chaussées par bio-régénération », RGRA n° 945, avril-mai 2017.
3. Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
4. Sétra, Retraitement en place des anciennes chaussées, « Guide technique », 2003.
5. NF EN 12697-1 « Mélanges bitumineux - Méthodes d’essai pour mélange hydrocarboné à chaud - Partie 1 : teneur en liant soluble », août 2012.
6. NF EN 1426 « Détermination de la pénétrabilité à l’aiguille - Bitumes et liants bitumineux », juin 2007.
7. NF EN 1427 « Détermination du point de ramollissement - Bitumes et liants bitumineux - Méthode Bille et Anneau», juin 2007.
8. NF EN 12697-5 « Mélanges bitumineux - Méthodes d’essai pour mélange hydrocarboné à chaud - Partie 5 : Masse volumique réelle (MVR) des matériaux bitumineux », novembre 2017.
9. NF P98-252 « Détermination du comportement au compactage des mélanges hydrocarbonés - Essai de compactage à la presse à cisaillement giratoire (PCG) », juin 1999.
10. NF P98-251-4 « Essais statiques sur mélanges hydrocarbonés - Partie 4 : essai Duriez aménagé sur mélanges hydrocarbonés à froid à l’émulsion de bitume », août 2004.