Routes de France, la Fédération européenne de la route (ERF) et la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), en collaboration avec la Fédération de l’industrie européenne de la construction (FIEC) et la Confederation of International Contractors’ Associations (CICA), ont effectué une étude comparative internationale sur les nouveaux usages de mobilité et leur impact sur les infrastructures routières et leurs équipements. Cet article en synthétise les principaux enseignements.
L’étude, dont les résultats ont été dévoilés le 8 septembre 2020, porte sur 20 pays dans le monde (États-Unis, Canada, Mexique, Chili, Argentine, Chine, Corée du Sud, Japon, Portugal, Espagne, France, Royaume-Uni, Belgique, Pays- Bas, Allemagne, Autriche, Norvège, Suède, Finlande, Afrique du Sud). Elle dresse un état des lieux, avant la crise liée à la pandémie de Covid-19, des nouveaux usages de mobilité (autonome, connectée, électrique, active…) et de leur impact sur les infrastructures routières et leurs équipements.
Les présidents Bernard Sala (Routes de France), Rik Nuyttens (ERF), Thomas Bauer (FIEC) et Emre Aykar (CICA) font part de leur réaction à la publication de cette étude.
Dans le cadre du Conseil national de l’industrie (CNI) et du Contrat stratégique de filière (CSF) « Industrie pour la construction » dont Routes de France est signataire, cette étude répond au cahier des charges proposé sur le thème « Concevoir la route pour répondre à la multifonctionnalité des usages et des services », à travers la recherche du rôle et de la place de l’infrastructure routière dans le développement des nouvelles mobilités, par le prisme d’une comparaison internationale entre 20 pays du monde.
Ainsi, Routes de France, la Fédération européenne de la route (ERF) et la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), en collaboration avec la Fédération européenne pour l’industrie de la construction (FIEC) et la CICA (Confederation of International Contractors’ Associations) ont réalisé cette étude en interrogeant des acteurs du monde de l’infrastructure routière par voie de questionnaire et d’interviews dans l’ensemble des pays étudiés.
Les réponses, couplées à des recherches, ont permis de définir un profil pour chaque continent et pays étudié, chacun classé en grands types de mobilités (autonome et connectée, décarbonée et électrique, urbaine et active) via une grille d’analyse, afin de dégager les grandes tendances.
Enseignements de ce panorama mondial
Une Europe de la mobilité à deux vitesses
Les pays européens représentent la moitié des pays étudiés dans cette étude. L’Europe du Nord est pour l’instant plus mature dans l’intégration des nouvelles mobilités que ses voisins. La Norvège et la Suède se dégagent dans la mobilité électrique, la première étant une référence depuis plusieurs années et la seconde pour ses recherches actives sur l’électrification des routes. Les Pays-Bas ont aussi une avance considérable dans le déploiement d’un réseau de recharge. Le Sud de l’Europe apparaît dans l’ensemble plus dépendant des stratégies d’aide à la filière.
Les Européens doivent déployer un réseau de recharge efficace et dense, condition sine qua non de développement de la mobilité électrique. L’ensemble de l’industrie automobile européenne voit dans l’électromobilité un enjeu stratégique, y compris pour le transport de fret et la logistique. L’Alliance européenne des batteries est en ce sens une initiative commune à saluer et à encourager.
Le constat est plus nuancé dans la mobilité autonome et connectée. Les Pays-Bas restent les plus avancés, avec un soutien clair à la numérisation et à la digitalisation de l’ensemble des équipements de la route.
Les pays scandinaves, germaniques et le Royaume-Uni bénéficient de législations qui les autorisent aux expérimentations ouvertes sur les véhicules autonomes ; ils ont des stratégies et des plans nationaux détaillés et accordent un fort soutien aux industries automobiles et aux startups. Les technologies MaaS, C-ITS et de mapping sont abondamment citées. Les pays du Sud sont plus prudents sur les cas d’usage et les niveaux d’autonomie, avec des cadres législatifs plus restreints pour déployer le potentiel de cette mobilité.
Une homogénéité d’objectifs et d’actions se dégage dans la mobilité urbaine. Les Européens ont comme objectifs affichés la réduction de la pollution et de l’autosolisme. Les grandes villes et les gouvernements mettent l’accent sur les mobilités douces et réduisent la place de la voiture individuelle au profit des transports en commun. De nombreuses initiatives de redéfinition de l’espace urbain et routier sont proposées. Les villes s’orientent vers une flexibilité des déplacements via une mobilité multimodale, accessible et inclusive. La route est perçue comme un espace de partage nécessaire entre différentes mobilités, par exemple, au moyen de voies dédiées.
Dans l’ensemble, les pays européens ne semblent pas très prompts à la modification de l’infrastructure routière, rappelant les coûts déjà élevés de maintenance et d’entretien d’un réseau vieillissant. L’intégration des nouvelles mobilités passe pour l’instant plus par les équipements de la route que par la route elle-même.
L’Occident et l’Orient, deux modèles distincts
Cette étude a également porté sur l’Amérique du Nord et sur l’Asie. Si l’Amérique fait face aux mêmes problématiques que l’Europe, l’Asie est susceptible de suivre un autre modèle de déploiement des nouvelles mobilités.
Aux États-Unis, les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) jouent déjà un rôle fondamental dans le développement des nouvelles mobilités. Ils bousculent les secteurs traditionnels de l’industrie automobile et des transports par leur concentration oligopolistique. Ces multinationales s’adressent directement aux usagers par leurs plates-formes, algorithmes et les données générées, en proposant une offre globale intégrée avec de nouveaux services de transport ou des véhicules avec des logiciels embarqués. Elles risquent de se substituer aux acteurs traditionnels de la mobilité dans sa dimension servicielle.
Cette tendance peut également être observée en Chine. Les BAT (Baidu, Alibaba, Tencent), équivalents des GAFA, touchent également le secteur des transports. Baidu s’est particulièrement engagé dans les technologies pour véhicules autonomes et connectés en fournissant la plate-forme logiciel Baidu CarLife avec des contenus associés (Baidu Maps) aux constructeurs automobiles. Celle-ci est considérée comme une alternative aux logiciels habituellement développés par les constructeurs automobiles et équipementiers et une substitution potentielle aux services proposés par Apple et Google.
Les États-Unis rassemblent les principales firmes travaillant sur les nouvelles formes de mobilité dans le monde. Cependant, le potentiel de déploiement de ces technologies est freiné par le manque d’harmonisation des réglementations des différents États. Chaque État émet ses règles propres sur le test de véhicules autonomes pour attirer les entreprises du secteur. C’est aussi le cas du Canada, qui pâtit de compétences réparties entre les agences fédérales et les provinces, ce qui entraîne une fragmentation des réglementations relatives aux infrastructures routières, malgré un fort soutien financier de la part de l’État pour les développements et tests de véhicules autonomes.
Ce problème de gouvernance se pose moins dans les pays asiatiques. Ces derniers se caractérisent par une forte implication stratégique et financière des gouvernements, stimulant l’industrie ou disposant de consortiums « étatiques ». Le financement public de tests pilotes de véhicules autonomes est substantiel. Un fort soutien dans le développement des nouveaux véhicules électriques est aussi à noter. En Chine, ces initiatives sont ouvertement soutenues par l’État et intégrées dans les programmes de planification. Ainsi, l’Asie, qui domine le marché mondial des batteries, est positionnée sur le véhicule électrique. La Corée et le Japon misent également en partie sur l’hydrogène.
Ces pays veulent se positionner comme les leaders de l’industrie digitale et numérique de manière générale : réseaux 5G, IA, Smart City. Les industries automobiles japonaises et coréennes souhaitent déployer dans la décennie une importante flotte de véhicules autonomes et une infrastructure routière pouvant les accueillir aux niveaux 3 et 4, en coopération avec les pouvoirs publics.
La stratégie numérique des pays occidentaux, dont le réseau routier est âgé et coûteux d’entretien, s’appuie surtout sur la connectivité des véhicules et des équipements de la route. L’Asie investit tout à la fois dans les technologies digitales de mobilité et dans l’infrastructure routière, surtout en Chine. L’édiction de standards et normes techniques y est plus rapide. Il est possible que l’Europe doive à l’avenir choisir entre les standards américains et chinois.
La Fédération européenne de la route (ERF) se félicite de cette publication et tient à remercier toutes les organisations partenaires de ce projet.
Cette étude comparative démontre la place et le rôle que l’infrastructure routière peut et doit jouer dans l’essor de nouvelles formes de mobilité, grâce à son adaptabilité et sa flexibilité dans les usages. L’ERF est pleinement impliquée dans ces évolutions au niveau européen à travers sa participation au groupe d’experts pour la mobilité autonome, connectée et coopérative (CCAM).
Le transport routier représente plus de 73 % du fret terrestre et 70 % du transport de passagers dans l’Union européenne (ERF, « Statistics 2020 »). L’infrastructure routière reste donc incontournable pour réaliser les objectifs ambitieux que doit atteindre le secteur des transports, notamment la nécessaire baisse des émissions de GES proposée par la Commission européenne à travers le Pacte vert européen. Cela requiert un niveau minimal de maintenance et d’entretien, et des modes de financement des routes plus pérennes, afin de contribuer à une infrastructure sûre, de qualité et participant à la baisse des émissions.
En ce sens, l’ERF restera attentive aux développements législatifs au niveau européen, notamment la future stratégie sur la mobilité durable et intelligente attendue pour la fin 2020.
Cette étude comparative doit servir à enrichir les discussions avec les décideurs publics, afin de mieux prendre en compte le rôle que l’infrastructure routière peut jouer pour faire face aux défis de demain.
Singularités, divergences et maturité des nouvelles mobilités
Aujourd’hui, les nouvelles mobilités passent par des technologies digitales impliquant plus directement les équipements de la route que l’infrastructure elle-même. L’Asie suit le même chemin, en mettant davantage l’accent sur ces technologies. C’est le cas de la Corée du Sud, où les équipements de la route connaissent un essor en milieu urbain avec le développement des Smart Cities (circuit ouvert), mais où leur substitution est envisagée sur les autoroutes en circuit fermé pour les véhicules autonomes de niveaux 4 et 5.
Une concurrence mondiale sur les standards, normes et développements de la mobilité autonome et connectée a lieu entre l’Amérique du Nord et l’Asie pour détenir le leadership sur l’industrie digitale et numérique.
Les GAFA américains et leurs équivalents chinois peuvent déjà proposer un bouquet de services de mobilité aux utilisateurs prenant en compte l’ensemble de leurs déplacements. L’Europe du Nord et les Pays-Bas sont des exemples notables d’intégration de ces nouvelles technologies (MaaS, ITS). Pour les acteurs du digital, la prise en compte de l’infrastructure routière reste pour l’instant tout à fait marginale.
La question de la gouvernance est centrale dans la capacité à adopter des standards de façon unifiée et rapide, et des disparités existent en ce domaine dans l’ensemble des pays étudiés. C’est par exemple le cas entre le Canada et les États-Unis, où l’interopérabilité des systèmes et équipements de la route est recherchée afin de garantir leur efficacité et leur lisibilité dans les deux pays. Ces équipements conçus, fabriqués et mis en œuvre par les entreprises du secteur routier doivent être reconnus par tous les véhicules en circulation.
Le tableau est plus équilibré sur la mobilité électrique, où l’on observe un niveau de maturité élevé dans les trois continents. La Chine et les États-Unis, leaders de la production mondiale de véhicules électriques, soutiennent ce marché pour une large partie. Les Européens sont quant à eux plus en avance dans l’évolution des mobilités électriques en milieu urbain, favorisant les mobilités actives et douces via une redéfinition de l’espace routier et urbain. Il est à noter que la décarbonation de la mobilité ne cible pas exclusivement la mobilité électrique. En effet, la Corée du Sud et le Japon ont proposé des stratégies ambitieuses fondées sur l’hydrogène.
Une partie des pays européens et la communication de l’Union Européenne entendent aussi décarboner le secteur des transports en étant technologiquement neutres. Par exemple, l’Allemagne et le Royaume- Uni incluent déjà un travail sur cette énergie avant la crise de la Covid-19. L’industrie automobile européenne fait face à des exigences renforcées en matière d’émissions de CO2 des véhicules et ce plus qu’ailleurs dans le monde (95 g/km en Europe, 122 g/km au Japon et en Chine, 125 g/km aux États-Unis).
Le monde des infrastructures doit accompagner cette baisse tendancielle attendue des émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur routier dans son ensemble. En Europe, la décarbonation va devenir un élément clé pour les acteurs de la route qui passera par des actions sur la conception des infrastructures, des changements dans les processus et matériaux utilisés, et un examen du cycle de vie et de la résilience des infrastructures. Le secteur peut aussi contribuer à la transition écologique par le déploiement à grande échelle d’une infrastructure de recharge pour les véhicules à faible émission.
L’Amérique latine est quant à elle dans une position différente. Les grandes villes innovent dans l’offre de mobilité urbaine (flottes de vélo en libre-service ou de bus électriques). Des applications telles que « Where is my transport » identifient les différents réseaux de transport public formels et informels dans les villes à faibles et moyens revenus, prenant en compte la flexibilité des usages. Le développement des mobilités électriques et autonomes semble cependant assez réduit à court terme. L’infrastructure routière est surtout considérée comme un moyen pour relier les villes aux territoires dans une logique de désenclavement des populations.
Rôle de l’infrastructure routière dans le transport traditionnel et les nouvelles mobilités
Tous les pays s’accordent sur l’importance d’un bon maillage routier et de voirie pour assurer la circulation des biens et des personnes dans de bonnes conditions, garantir la sécurité et l’accès aux services et favoriser une équité entre les territoires en termes d’aménagement et d’attractivité.
Les modes de transport par la route étant majoritaires ou dominants dans tous les pays, ceux-ci doivent trouver des solutions aux problèmes de congestion, de pérennité de leur maintenance routière, de sécurité routière, de réduction des émissions de GES, de performance globale de leurs systèmes de transport et de financement.
L’étude comparative montre bien les différences de modes de gestion ou de choix budgétaires d’un continent à l’autre et entre les pays eux-mêmes.
La CICA est très heureuse d’avoir pu participer à l’élaboration de cette étude comparative internationale donnant une image de l’évolution du secteur routier dans 20 pays du monde.
CICA représente l’industrie de la construction au niveau mondial et suit de près les évolutions touchant le secteur. Elle en est le relais pour ses membres, les fédérations régionales, les organismes et organisations internationaux tels que les banques multilatérales de développement, l’OCDE ou l’ONU.
Cette étude démontre indéniablement que l’infrastructure routière a toute sa place dans les transformations à venir, étant le lien indispensable vers des modes de transport plus verts, plus flexibles et plus adaptés.
CICA s’est trouvée au coeur des développements évoqués par cette publication, observant l’essor des projets de Smart City à Séoul avec son membre sud-coréen. Cette expérience a démontré que les infrastructures routières partagées sont des éléments essentiels pour la réalisation du développement d’une Smart City. Elles permettent une utilisation raisonnable de l’espace disponible, optimisant la gestion du trafic et favorisant la montée en puissance des technologies vertes ainsi que des activités industrielles dynamiques.
Maintenance et entretien des infrastructures
L’Europe et l’Amérique du Nord font face à un réseau routier vieillissant dont la maintenance et l’entretien sont coûteux. Le rôle de l’infrastructure routière y est encore largement sous-estimé. Pourtant, la maintenance et l’entretien sont reconnus par les experts interrogés comme des éléments clés pour permettre le déploiement de nouvelles formes de mobilité, notamment via les principes pollueur-payeur ou utilisateur-payeur. Les modèles économiques des nouvelles mobilités et le financement des infrastructures routières suscitent encore des interrogations majeures.
Les autorités américaines ont convenu d’un programme d’investissement de 2 000 milliards de dollars sur 25 ans au printemps 2019 pour remédier à la dégradation générale des infrastructures de transport. Les Européens ont quant à eux des niveaux d’engagement différents : à titre d’exemple, le montant dépensé annuellement par kilomètre de route dans les années 2010 était 4 à 5 fois supérieur en Autriche, en Belgique, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni qu’en France ou en Allemagne.
Pour l’Amérique latine (Mexique, Argentine, Chili), le sujet de l’entretien et de la réhabilitation des réseaux routiers de base est prioritaire.
Dans les pays asiatiques étudiés, les logiques diffèrent :
- La Chine investit massivement dans la création d’infrastructures routières et ferroviaires nouvelles, dans un territoire gigantesque avec des liaisons à réaliser entre de nombreuses mégalopoles. Ce pays est composé de plus d’une cinquantaine de villes ou agglomérations dont la population se situe entre 2 et 32 millions d’habitants. Durant l’année 2017, plus de 8 000 kilomètres d’autoroutes ont été construites. On compte plus de 140 000 kilomètres d’autoroutes en 2018.
- La population de la Corée du Sud est concentrée dans des zones urbaines de forte densité et développe ses liaisons interurbaines.
- Le Japon dispose d’un réseau routier important pour sa superficie mais vieillissant. On parle de vieillissement accéléré des infrastructures en général et ce pays est confronté à deux autres phénomènes : la fréquence des désastres naturels et l’isolement de sa population rurale, couplé à un vieillissement général.
Pour autant, le dénominateur commun à ces trois pays si différents est l’accélération des programmes de transformation numérique des infrastructures routières, celles-ci devant jouer leur rôle dans les mobilités décarbonées, autonomes et connectées.
L’accélération des nouvelles mobilités, la course à l’hypermobilité dans tous les pays avant la crise sanitaire et la diversification des usages induits par la digitalisation de la société bousculent encore plus les fondamentaux du transport, comme les gestionnaires de réseaux interurbains et les autorités urbaines. La recherche d’une optimisation de l’exploitation des réseaux comme leur transition dans une approche multimodale ne suffisent plus.
Le rôle des infrastructures routières face à ces nouveaux enjeux de transport et de mobilité n’est pas posé de la même manière dans les pays étudiés, sauf peut-être en milieu urbain, où les mobilités actives, légères et partagées empruntent toutes la voirie, ce qui donne aux autorités un levier de régulation ou de partage de l’espace routier.
Infrastructures et mobilité autonome
Dans la mobilité autonome, le véhicule est à l’état de tests dans de nombreux pays, pour des utilisations contrastées (déplacement individuel ou collectif de type navette).
Son développement dépend à la fois des choix :
- des autorités publiques, qui se refusent de se voir imposer des standards de chaussées avec des niveaux de services adéquats ;
- des constructeurs automobiles ;
- des acteurs numériques, qui optent pour des systèmes d’information digitaux (5G) privilégiant les interactions entre les véhicules (plutôt que celles entre véhicules et infrastructure physique).
Sur le continent américain, les autorités publiques des États-Unis sont concentrées sur les enjeux de sécurité routière. La mise à niveau des réseaux routiers répond aux logiques patrimoniales et d’accessibilité plus que de connectivité, sauf pour l’information trafic. Le choix des industriels du secteur est clairement de pouvoir se passer de l’infrastructure routière. Le véhicule autonome s’adaptera à la chaussée qu’il emprunte. Ses capteurs intégrés et sa géolocalisation devront suffire pour assurer une conduite autonome de niveaux 4 ou 5. En Amérique latine, pour les autorités, l’urgence porte sur l’entretien du réseau existant et sur la réalisation des liaisons manquantes entre les territoires.
En Asie, la Chine impose la connectivité des infrastructures dans ses programmes de développement. Au Japon comme en Corée du Sud, les industriels et les autorités misent sur la connectivité des infrastructures, les échanges d’information. Les équipements de la route (marquage, signalisation, unités de bord de route, caméras) sont privilégiés par rapport à la chaussée.
En Europe, on constate la prudence des autorités publiques qui ne souhaitent pas être entraînées dans des standards de routes universels impossibles à assurer sur l’ensemble des réseaux.
Que vous inspire cette étude pour la France ?
La route, qui est pourtant au cœur de toutes les mobilités, suscite dans la plupart des pays et notamment en France, de la prévention quand il s’agit d’investir. Or, ne pas l’entretenir ni l’adapter aux nouveaux usages et aux nouvelles technologies liés au déploiement des véhicules électriques ou à la future conduite autonome fait prendre du retard dans la compétition internationale. Le classement de la qualité des routes publié par le Forum économique mondial illustre la détérioration des routes françaises, qui passent de la première position en 2011 à la 18e en 2019. Pourtant, il existe des moyens de permettre au secteur privé d’entretenir et de maintenir le réseau routier en bonne intelligence, à un coût maîtrisé. Les Pays-Bas et les pays d’Asie l’ont bien compris.
Quels enseignements en tirez-vous ?
La France a besoin d’améliorer ses dispositifs de gouvernance dans le domaine des mobilités. C’est vrai au plan national comme au plan local. Les passerelles entre le privé et le public ne sont pas suffisantes dans notre pays. Elles pourraient faire naître une vraie démarche de filières et ainsi améliorer l’efficience et la compétitivité de nos transports. Il y a lieu une bonne fois pour toutes d’adopter une approche intégratrice de l’infrastructure routière et de ses équipements avec les mobilités dans une approche multimodale (usages et services). C’est la meilleure façon de répondre aux enjeux de la transition écologique et aux besoins des usagers.
Aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Allemagne comme en France, la tendance est de parvenir à un système plus équilibré entre des équipements de connectivité embarqués et les équipements externes, avec des interactions envisagées entre les véhicules (V2V), mais aussi entre les véhicules et l’infrastructure (V2I), notamment en matière de sécurité du véhicule autonome. Les équipements de la route sont là aussi privilégiés. Plus par précaution budgétaire que pour des raisons technologiques, les autorités publiques hésitent à déterminer un niveau de service minimal de l’infrastructure routière pour sécuriser la mobilité autonome.
Infrastructures et mobilité électrique
En matière de mobilité décarbonée, le développement massif des véhicules à faibles émissions est corrélé au déploiement tout aussi massif des réseaux de recharge. Si, dans l’ensemble des pays étudiés, les choix gouvernementaux ou industriels vont vers une mobilité décarbonée, l’infrastructure routière en tant que telle n’est pas encore retenue comme une condition essentielle du développement de la mobilité électrique.
Toutefois, des perspectives intéressantes se dégagent dans le domaine des routes électriques. Les industriels suédois et allemands sont très avancés pour tester sur les poids lourds des systèmes par pantographes ou par rail conductif. La technologie par induction ouvre aussi des perspectives, donnant à l’infrastructure routière un rôle pour le développement de l’électromobilité. Des réseaux ou des démonstrateurs existent en Norvège, en Corée du Sud, au Royaume-Uni et en France. Dans ce dernier pays, des groupes du BTP étudient avec des énergéticiens et des constructeurs automobiles un système de charge dynamique qui reporte une partie du vecteur énergétique dans l’infrastructure.
La Fédération de l’industrie européenne de la construction (FIEC) est ravie d’avoir pu contribuer, grâce à sa représentativité (32 fédérations nationales de la construction dans 28 pays européens), à l’élaboration de cette étude riche d’enseignements pour le continent européen.
Cette étude souligne la place fondamentale des infrastructures routières pour accompagner le développement de la mobilité connectée, autonome et décarbonée. Au moment où la Commission européenne mise sur la transition écologique et énergétique (Green Deal) et le numérique, il est essentiel de consacrer des financements européens à la hauteur des besoins pour faciliter la mutation vers une mobilité quotidienne bas-carbone.
À cet égard, le futur Plan de relance européen, le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE) ou en encore les fonds structurels seront des instruments financiers précieux.
Un autre enseignement de cette étude est le rôle important de l’entretien et de l’adaptation des infrastructures routières pour favoriser le développement de la mobilité connectée et autonome. Le sujet de l’entretien des infrastructures est un sujet sur lequel la FIEC est activement mobilisée, notamment dans la perspective de la révision du réseau transeuropéen de transport (RTE-T). Il revient aux autorités publiques européennes, nationales et locales de consacrer les investissements nécessaires pour moderniser et adapter les infrastructures, condition préalable – et indispensable – au déploiement de ces nouvelles mobilités. Il s’agit d’un enjeu de taille pour faire de l’Europe un continent exemplaire en matière de décarbonation, qui valorise et promeut le savoir-faire européen en matière industrielle.
Le secteur européen de la construction, fort de sa capacité d’innovation et de sa maîtrise des enjeux du numérique, est parfaitement apte à prendre toute sa place pour épauler cette transition vers la mobilité de demain.